24.
Le Sith’Ari
Leurs cibles n’étaient que des astéroïdes mais les chasseurs stellaires jaunes au nez chromé attaquaient les corps rocheux criblés de micro-cratères comme s’ils représentaient une menace pour Naboo. De conception nubienne mais construits par les Ingénieurs de la Flotte Spatiale du Palais de Theed, ces vaisseaux élégants aux ailes courtes reflétaient le goût de Naboo pour l’esthétique classique et le luxe tape-à-l’œil. Ils étaient aussi l’avancée préférée du Roi Veruna depuis son couronnement. Les moteurs des chasseurs étaient censés répondre à de nouvelles normes de contrôle des émissions mais, pour une planète qui se vantait de respecter l’environnement, les N-l semblaient complètement déplacés et contraires à ces valeurs fondamentales.
— Nous devrions disposer de deux escadrons supplémentaires prêts à voler d’ici le début de l’année, expliqua Veruna à Palpatine.
Ils se trouvaient tous deux face à une imposante baie vitrée dans la nef royale, entièrement décorée en finition miroir.
— Ils seront tous équipés de deux canons laser jumelés, de lanceurs de torpilles à protons, de boucliers déflecteurs et de deux droïdes astromechs de série R.
— Un rêve devenu réalité, observa Palpatine. Pour vous et pour le Collectif de Conception nubien.
Veruna leva un épais sourcil gris et blanc :
— Notre accord avec le Collectif de Conception nubien était bénéfique pour les deux parties.
— Bien entendu, dit Palpatine en se demandant combien Veruna et ses amis avaient empoché sur un contrat auquel la plupart des Naboos étaient opposés.
Palpatine venait d’arriver sur la planète en compagnie de Pestage. Il avait rencontré Janus Greejatus en bas, avant son rendez-vous au hangar de Theed avec Veruna et les membres de son conseil consultatif, parmi lesquels le Premier Conseiller Kun Lago et le chef de la sécurité du Roi, Maris Magneta, un individu aux traits anguleux. Padmé Naberrie, une adolescente qui occupait un poste de gouverneur, brillait par son absence. Sa nomination avait été le compromis de Veruna envers un électorat qui lui était de plus en plus réfractaire au fil des ans. Veruna n’avait pourtant pas l’air de s’en porter plus mal. Avec ses sourcils broussailleux, ses longs cheveux argentés et sa barbe méticuleusement taillée, il avait toujours belle prestance. Lago et Magneta étaient nettement plus jeunes et moins distingués. Ils avaient affiché leur aversion pour Palpatine et son entourage dès qu’ils étaient montés à bord du vaisseau étincelant.
De l’autre côté de la baie vitrée, l’Escadron Bravo réduisait les astéroïdes en poussière.
— C’est le capitaine Rie Olié à bord de Bravo Un, commenta Veruna. Il a été endurci à la bataille sur Chommell Minor.
Pestage ne parvint pas à retenir un petit rire.
— Contre ce groupe de pirates dont les vaisseaux sont entrés en collision l’un contre l’autre ? lança-t-il d’un air enjoué.
Veruna jeta un regard furieux à Palpatine.
— Votre aide semble ignorer quelle est sa place, Sénateur.
Palpatine jeta par obligation à Pestage un regard et se retourna vers Veruna.
— Mes excuses, Votre Majesté.
Si Veruna n’était pas convaincu, il garda cela pour lui et fixa son regard vers la démonstration des chasseurs stellaires qui se déroulait au loin.
— J’ai l’intention de mettre un terme à notre partenariat avec la Fédération du Commerce, dit-il sans regarder Palpatine après un long moment de silence.
Palpatine fit quelques pas pour se placer dans la vision périphérique de Veruna, les yeux écarquillés par une surprise sincère.
— Est-ce là le but de cette démonstration ? Le Roi se tourna vers lui.
— Si j’avais voulu que ce soit une démonstration de force, j’aurais attendu la prochaine collecte de plasma. Cependant, puisque vous semblez poser la question, les ingénieurs de Theed et le Collectif de Conception nubien m’assurent que les transports Lucrehulk de la Fédération seraient une proie facile pour nos N-l.
Palpatine regarda Pestage et Greejatus puis secoua la tête, consterné.
— Alors, c’est bien que vous m’ayez invité à bord, Votre Majesté, car je suis porteur de nouvelles qui pourraient vous persuader de réviser votre position.
— Quelles nouvelles ? demanda Magneta.
Palpatine l’ignora et continua à s’adresser à Veruna.
— Cette affaire n’a pas encore atteint la Rotonde mais tout indique que la République va finalement accorder à la Fédération du Commerce la permission d’armer ses vaisseaux.
Veruna en resta bouche bée. Il cligna des yeux.
— Avec quoi ?
Palpatine feignit la nervosité.
— Je ne sais pas exactement. Des turbolasers, certainement, ainsi que des chasseurs stellaires droïdes. Les automates de combat qui sont produits par Baktoid, Haor Chall et les insectoïdes.
Il fit un geste en direction de la baie vitrée.
— Des armes qui se révéleront des adversaires mortels pour ces chasseurs.
Veruna essayait toujours de comprendre.
— Pourquoi la République fait-elle cela ?
— À cause de ce qui s’est passé sur Yinchorr. À cause des attaques persistantes des pirates et des insurgés de toutes sortes. Et parce que la République refuse de revenir sur sa position concernant la création d’une armée.
Veruna s’éloigna à grands pas de la baie vitrée puis s’arrêta brusquement et opéra une volte-face vers Palpatine :
— Je ne vous crois pas. Valorum est sorti victorieux sur Yinchorr. Il ne céderait jamais aux pressions de la Fédération du Commerce.
— Il ne cède pas à la pression. Sa stratégie est de conclure un accord avec la Fédération : des armes défensives en échange de la taxation des zones de libre-échange.
Veruna resta sans voix.
— C’est pour cela que j’implore Votre Majesté de garder Naboo du bon côté, lâcha Palpatine.
— Dites-nous, Sénateur, intervint Lago, ce que cela signifie d’être du bon côté ?
Palpatine regarda tour à tour Lago et Veruna.
— Quand la question sera soumise au vote sous la Rotonde, Naboo doit s’opposer à la taxation des zones de libre-échange.
Veruna déglutit et retrouva la parole.
— Et soutenir la Fédération du Commerce ? Alors que ma réélection est proche ? Vous êtes fou, Palpatine. Naboo se trouve sous le joug de la Fédération depuis plus de trente ans. Le peuple ne me pardonnerait jamais.
— Votre base reste forte, le rassura Palpatine. Le peuple finira par comprendre que vous avez pris la bonne décision.
Veruna fulmina.
— Je n’aime pas être mis dans cette position, Palpatine.
Palpatine adopta une attitude pensive, avant de regarder le Roi.
— Il y a peut-être un autre moyen... Je suis certain que Hego Damask serait prêt à négocier un nouvel accord avec le bloc neimoidien de la Fédération...
— Je n’ai pas besoin que Damask négocie quoi que ce soit, l’interrompit sèchement Veruna. L’heure des Muuns est révolue. Damask est un anachronisme. Ses ennemis nous ont tous rendu service en l’obligeant à prendre une retraite anticipée.
Les yeux de Palpatine se rétrécirent imperceptiblement. Et voilà, avec une petite poussée, il révèle son jeu.
— Si mes souvenirs sont exacts, les ennemis de Damask ont payé cher.
Il garda le silence un moment et se repositionna devant la baie vitrée, de manière à ce que Veruna voie les chasseurs en train de mitrailler pendant qu’il l’écoutait.
— Je reconnais que Sojourn n’est plus la forteresse impénétrable qu’elle était autrefois. Mais Damask a toujours le bras aussi long et ses liens avec le Clan Bancaire n’ont jamais été aussi forts.
— Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, Sénateur, intervint Magnera, Naboo jouit également de très bons appuis, désormais.
Palpatine jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour regarder les chasseurs stellaires puis posa les yeux sur Veruna.
— Votre Majesté, Damask n’appréciera pas d’être exclu de nos transactions avec la Fédération du Commerce. Il peut nous causer beaucoup d’ennuis.
Veruna le regarda attentivement :
— Laissez-le essayer. Naboo est loin d’être la seule planète qu’il a exploitée. Nous ne manquerons pas d’alliés. Je me soucie plus de la réaction du Sénat si nous votons contre la taxation des zones d’échange.
Palpatine se força à soupirer.
— C’est une situation désespérée. Les planètes des factions de la Bordure dépendent de la Fédération du Commerce pour les marchandises, elles voteront sans doute contre. Les planètes du Noyau, en revanche, voteront en faveur de là taxation, ne fût-ce que pour garantir des revenus à la République et ne pas soutenir les systèmes éloignés. En occupant le milieu de terrain, la Fédération du Commerce gagnera quoi qu’il arrive car elle aura enfin la permission de se défendre et elle obligera ses clients à endosser le surcoût qui découlera de la taxation.
— Que signifie tout cela pour Valorum ? demanda Lago.
— Je crains qu’il ne puisse terminer son mandat.
— Qui lui succédera ? demanda Veruna.
— C’est difficile à dire, Votre Majesté. Ainlee Teem, à mon avis. Mais Bail Antilles jouit de pas mal de soutien.
Veruna réfléchit.
— Quelles sont les implications pour Naboo si les Grans l’emportent sur les Alderaaniens ?
— Vous auriez alors un ami dans la Chancellerie, bien sûr.
Veruna tira sur sa barbe.
— Je tiendrai compte de vos recommandations. Mais soyez prévenu, Palpatine : je ne tolérerai aucune tromperie. Ni de votre part – il fixa Pestage et Greejatus d’un regard perçant – ni d’aucun de vos amis. Souvenez-vous : je sais où les corps sont enterrés.
Le temps est compté.
Des plantes grimpantes s’étaient accrochées aux murs et aux tours du vieux fort et des lianes s’étendaient depuis les parapets crénelés jusqu’aux sommets touffus des arbres tout proches. Des insectes grouillaient sous les pieds, ils cherchaient de la nourriture ou étaient chargés de brindilles. Les orages de la nuit précédente avaient laissé de nombreuses flaques sur le chemin de ronde et le trop-plein s’écoulait en cascade par les meurtrières. La forêt que Plagueis avait plantée et peuplée d’animaux rares et exotiques semblait déterminée à débarrasser Sojourn de la forteresse qui avait été élevée en son milieu.
Depuis la plus haute des tours, Dark Plagueis regardait par-dessus la cime des arbres la bordure de la planète parente de la lune et l’étoile distante qu’ils partageaient. Sojourn orbitait vite et la dernière lueur disparaissait. L’air était doux et empli du vrombissement des insectes, des cris d’oiseaux, des hululements tristes des créatures de la nuit. Une nuée de chauves-souris s’échappa de grottes creusées dans l’escarpement pour dévorer les sangsues amenées par les fortes pluies. Une brise s’éleva de nulle part.
Le temps presse.
Les textes et les holocrons qui relataient les actes et les compétences des Maîtres Sith qui – c’est du moins ce qui était dit et écrit – étaient capables de provoquer le vent ou la pluie, voire de fracturer le ciel avec des éclairs, étaient toujours à l’abri sur Aborah. Si l’on se fiait aux récits des Sith et de leurs disciples, quelques Seigneurs Noirs affirmaient être capables de voler, de se rendre invisibles ou de se transporter dans l’espace et le temps. Mais Plagueis n’avait jamais réussi à reproduire aucun de ces phénomènes.
Dès le début, Tenebrous lui avait dit qu’il n’était pas apte à pratiquer la sorcellerie Sith, même si cette incapacité n’était pas due à un manque de midi-chloriens. C’est un don inné, lui disait le Bith quand son Apprenti le pressait de questions. Un don qui lui ferait encore et toujours défaut. De toute façon, la sorcellerie n’était pas à la hauteur de la science Bith. Mais Plagueis comprenait maintenant que Tenebrous s’était trompé au sujet de la sorcellerie, comme il s’était trompé sur tant de choses.
C’est vrai, le don était plus puissant chez ceux qui, sans effort, pouvaient se laisser emporter par les courants de Force et servir de canal pour que le Côté Obscur déferle. Mais ces capacités pouvaient emprunter un autre chemin, qui démarrait là où le cercle se refermait sur lui-même et où la volonté pure prenait le pas sur le dévouement. Plagueis comprenait aussi qu’aucun pouvoir n’était hors de sa portée, qu’il pouvait tout maîtriser en redoublant de volonté. Si un Sith aussi puissant que lui l’avait précédé, alors il avait emporté ses secrets dans la tombe ou les avait enfermés dans des holocrons aujourd’hui détruits, voire disparus à tout jamais.
La question de savoir si Sidious et lui avaient découvert quelque chose de nouveau ou avaient redécouvert quelque chose d’ancien n’avait aucune importance de toute façon. Le principal était que, près de dix ans plus tôt, ils avaient réussi à contraindre la Force à basculer irrémédiablement vers le Côté Obscur. Il ne s’agissait pas d’un simple changement paradigmatique mais d’une altération tangible, qui pouvait être perçue par n’importe quel être puissant dans la Force, qu’il soit ou non entraîné aux arts Sith ou Jedi.
Ce changement avait demandé des mois de méditation intense, durant lesquels Plagueis et Sidious avaient cherché à défier la Force pour sa souveraineté et à imprégner la galaxie du pouvoir du Côté Obscur. Impavides et impudents, au risque de leur mort, ils avaient mené une guerre éthérique. Ils s’attendaient à ce que leurs midi-chloriens, l’armée par procuration de la Force, se liguent pour faire bouillir leur sang ou arrêter les battements de leurs cœurs. Sortis d’eux-mêmes, désincarnés et réunis en une seule entité, ils s’étaient appuyés sur le pouvoir de leur volonté, avaient affirmé leur souveraineté par rapport à la Force. Aucune force adverse ne leur avait barré la route. Dans ce qui équivalait à un état d’extase, ils avaient compris que la Force avait cédé, comme si une divinité avait été renversée de son trône. Grâce au levier qu’ils avaient façonné, le Côté Lumineux avait basculé et le Côté Obscur s’était élevé.
Le même jour, ils avaient laissé Venamis mourir.
Puis ils avaient manipulé les midi-chloriens du Bith, qui auraient dû rester inertes et n’auraient pas dû réagir : Plagueis l’avait ressuscité. L’énormité de cet événement avait plongé Sidious dans un silence hébété et avait fait surchauffer les processeurs de 1-1-4D qui s’en était retrouvé confus. Plagueis avait poursuivi ses recherches sans la moindre assistance : encore et encore, il avait laissé mourir Venamis et l’avait ramené à la vie, jusqu’à ce que les organes du Bith lâchent. Plagueis lui avait alors accordé une mort éternelle.
Mais le pouvoir de préserver la vie n’était pas un objectif suffisant pour lui. Et donc, après le départ de Sidious pour Coruscant, Plagueis s’était consacré à intérioriser cette capacité en manipulant les midi-chloriens qui l'animaient. Pendant plusieurs mois, il n’avait accompli aucun progrès, puis il avait fini par percevoir un changement modéré. Les cicatrices de ses blessures avaient tout à coup commencé à s’adoucir et à s’estomper, il s’était mis à respirer plus librement qu’au cours des vingt années précédentes. Il avait commencé à sentir non seulement ses tissus endommagés cicatriser mais tout son corps rajeunir. Sous le respirateur, des zones de sa peau étaient lisses et jeunes, et il devinait qu’il finirait par cesser complètement de vieillir.
Ivre de ce nouveau pouvoir, il avait alors tenté un acte encore plus impensable : faire naître une création propre. Pas simplement la fécondation d’une pauvre créature stupide mais la naissance d’un être réceptif à la Force. Le pouvoir de dominer la mort était un pas dans la bonne direction mais ce n’était pas encore la création pure. Il invoqua alors la Force – comme s’il était invisible, transsubstantié – pour informer tous les êtres de son existence et avoir un impact sur chacun d’entre eux, qu’ils soient muunoïdes ou insectoïdes, en sécurité ou dépossédés, libres ou enchaînés. Comme un guerrier qui agite un drapeau en signe de triomphe sur un champ de bataille, un fantôme qui s’infiltre dans un rêve.
Mais il n’arriva pas à ses fins.
La Force se tut, comme si elle le fuyait, et bon nombre des animaux de son laboratoire succombèrent à d’atroces maladies.
Malgré cela, huit longues années plus tard, Plagueis était encore convaincu d’être sur le point d’aboutir au succès absolu. La preuve se trouvait dans son taux de midi-chloriens et dans le pouvoir qu’il sentit en Sidious quand il revint enfin sur Sojourn. Ils pouvaient commander le Côté Obscur de la Force et, en alliance avec lui, ils finiraient un jour par être capables de se maintenir en vie l’un l’autre et de diriger la galaxie aussi longtemps qu’ils le désireraient.
Mais il devait encore expliquer tout cela à Sidious.
Il était plus important pour le moment, cependant, que Dark Sidious reste concentré sur la manipulation des événements dans le monde réel, tout comme Plagueis était décidé à dominer le royaume de la Force, dont le monde matériel n’était qu’une grossière réflexion déformée.
Évidemment, la lumière avait été vaincue, mais pour combien de temps et à quel prix ?
Il se souvenait d’une éclipse stellaire dont il avait été témoin sur un monde oublié, dont l'unique lune avait la taille et la distance parfaite pour obstruer la lumière de l’étoile du système. Le résultat n’avait pas été une obscurité totale mais une illumination différente, singulière et diffuse qui avait perturbé les oiseaux et avait permis de distinguer les étoiles en pleine journée. Même totalement obstruée, l’étoile principale avait brillé derrière le disque du satellite et quand la lune avait bougé, il y avait eu un moment de lumière d’une intensité presque insupportable.
Il observait le ciel de Sojourn qui s’obscurcissait et se demandait quelle calamité la Force préparait en cachette pour lui ou pour Sidious, ou pour les deux, pour les punir d’avoir sciemment changé l’équilibre. Est-ce que le châtiment l’attendait simplement en coulisses, comme sur Coruscant, vingt ans plus tôt ? C’était une période dangereuse ; plus dangereuse que ses jeunes années comme Apprenti, quand le Côté Obscur aurait pu le consumer à tout moment.
Au moins, sa remise sur pied était presque terminée. Sidious continuait à devenir plus puissant comme Sith et comme politicien. Son plan le plus élaboré ne rencontrait que peu ou pas de résistance et l’Ordre Jedi était en train de sombrer...
L’avenir le dirait.
Le Zabrak Dathomirien était assis jambes croisées sur le sol en durabéton. il faisait à Sidious le compte rendu de la mission de surveillance qu’il avait accomplie au Temple Jedi, quelques semaines plus tôt, au plus fort de la crise du système Yinchorr.
— Cela m’a rendu malade de voir avec quelle facilité les infiltrés reptiliens se faisaient duper, Maître, même par la sentinelle, une humaine aux cheveux clairs qu’ils pensaient avoir pris par surprise devant le Temple. De mon poste d’observation, je savais qu’elle feignait la surprise quand son sabre laser n’a pas réussi à pénétrer le bouclier en cortose de son attaquant. Je savais qu’elle faisait semblant d’être inconsciente quand le Yinchorri l’a tirée pour la remettre debout et qu’elle l’a empalé sur sa lame activée.
Maul eut un sourire de mépris qui révéla ses dents aiguisées :
— Ils étaient si stupides que l’échec de leur mission était un délice à mes yeux. J’ai aussi pris du plaisir à voir que les Jedi les avaient simplement attirés dans un piège.
Le bâtiment abandonné de LiMerge était devenu la maison et le centre d’entraînement de l’assassin. De nuit, il fréquentait le quartier des Usines et les abords de Fobosi, tout proche. Sidious, qui tournait autour de lui, la capuche de sa robe levée, demanda :
— Les Jedi ont donc gagné votre respect ?
— Ils auraient pu si les infiltrés avaient fait preuve d’un minimum de talent. Si je les avais dirigés...
Sidious l’interrompit :
— La mission aurait été réussie ? Les Chevaliers Jedi et les Padawans tués, les enfants massacrés ?
— J’en suis certain, Maître.
— Vous seul face aux Maîtres du Haut Conseil ?
— En me cachant et en frappant le premier, j’aurais pu en tuer beaucoup.
Plagueis a raison, pensa Sidious. Je l’ai rendu orgueilleux. Le stratagème yinchorri avait échoué, de toute façon. Quelques Jedi avaient perdu la vie mais ce n’était pas l’objectif. L’important, c’était le triomphe de Valorum, aidé par Palpatine, il est vrai. Il était parvenu à rallier à sa cause les Sénateurs Yarua, Tikkes, Farr et bien d’autres, puis à instaurer un embargo. À présent que Valorum avait abattu toutes ses cartes politiques, sa position était encore plus fragile qu’auparavant. Si le moindre scandale se présentait, le Sénat perdrait le peu de confiance qu’il avait en lui.
— Tu es redoutable, finit par dire Sidious, mais tu n’es pas une armée à toi seul. Je n’ai pas passé des années à t’entraîner pour que tu te sacrifies. Quand je t’ai décerné le titre de Dark, ce n’était pas pour te récompenser d’avoir survécu à de dangereuses missions, à la faim et aux droïdes assassins mais pour récompenser ton obéissance et ta loyauté. Tu auras sans doute de nombreuses opportunités de démontrer tes compétences supérieures aux Jedi, mais ta mission n’est pas de faire tomber l’Ordre malgré la haine que tu lui portes.
Maul baissa la tête, exhibant ainsi sa couronne de cornes pointues dressées sur sa peau rouge et noir.
— Maître, j’accepte, tant que ceux qui le font à ma place en retirent autant de joie et de satisfaction que moi-même.
— Nous verrons, mon Apprenti. Mais d’ici là, nous avons d’autres sujets de préoccupations.
Il fit signe à Maul de se lever et de le suivre jusqu’à l’holoprojecteur et la plate-forme de transmission – ceux que les Grans avaient abandonnés des dizaines d’années plus tôt mais qui avaient été complètement modernisés.
— Reste hors du champ des caméras, lui ordonna Sidious en lui indiquant un emplacement. Pour le moment, nous voulons te garder en réserve.
— Mais...
— Sois patient. Tu auras un rôle à jouer. Sidious s’installa dans un fauteuil à haut dossier qui l’enveloppait comme un trône. Une commande à distance était encastrée dans l’un des accoudoirs. La pensée de ce qui l’attendait le grisait un peu. Plagueis avait-il lui aussi pressenti l’importance du moment qu’il allait vivre, des années plus tôt, sur Naboo, avant de révéler son vrai visage ? Avant de tomber pour la première fois le masque en public ? Le sentiment de puissance était teinté d’une certaine nostalgie : il allait perdre quelque chose d’intime et de si caractéristique. Ce secret ne serait plus jamais le sien...
La comm saisit le Vice-Roi Nute Gunray en plein repas, sans la tiare à trois pans et le col orné de pierres bleues qui lui donnaient l’apparence d’un bouffon.
— Salutations, Vice-Roi, dit Sidious.
Les membranes nictitantes des yeux rouges du Neimoidien s’agitèrent de façon spasmodique et son nez aplati tacheté tressauta.
— Quoi ? Quoi ? C’est une adresse sécurisée. Comment avez-vous...
— Ne prenez pas la peine d’essayer de retrouver l’origine de cette communication, lui conseilla Sidious, tandis que les doigts gris effilés de Gunray tapotaient un clavier sur son holotable. Vos recherches vous feront tourner en rond et perdre le peu de temps dont nous disposons.
— Comment osez-vous vous imposer...
— Je vous ai envoyé un cadeau récemment. Un pylat à taches rouges.
Gunray le regarda, abasourdi.
— Vous ? C’est vous qui l’avez envoyé ?
— Je suppose que vous avez eu assez de bon sens pour le faire scanner afin de vous assurer qu’il ne cachait pas d’instruments de surveillance ?
Gunray pivota pour regarder quelque chose hors champ, probablement l’oiseau huppé.
— Bien entendu. Pourquoi me l’avez-vous offert ? Son accent allongeait les mots et atténuait la dureté de certaines consonnes.
— Considérez ce cadeau comme une récompense pour le travail que vous avez accompli au service de la Fédération du Commerce sans que l’on vous en sache gré. Le Directoire ne reconnaît pas votre apport à sa juste valeur.
— Ils... enfin, je... Pourquoi vous cachez-vous dans le capuchon de votre cape ?
— C’est l’uniforme de mon Ordre, Vice-Roi.
— Vous êtes religieux ?
— Est-ce que je ressemble à un saint ?
L’expression de Gunray s’assombrit :
— J’exige de voir votre visage.
— Vous devez encore mériter le privilège de me voir.
— Privilège ? Pour qui vous prenez-vous ?
— Êtes-vous certain de vouloir le savoir ?
— J’exige de le savoir, répéta Nute Gunray.
Le sourire de Sidious dépassa à peine du capuchon.
— Encore mieux, alors. Je suis un Seigneur Sith. Voilà, je l’ai dit.
Je l’ai dit...
— Seigneur Sith ? répéta Gunray.
La réponse venait des profondeurs de Gunray, du centre de son être véritable.
— Vous avez la permission de m’appeler Dark Sidious.
— Je n’ai jamais entendu parler de Dark Sidious.
— Eh bien maintenant, c’est fait. Notre partenariat est scellé.
Gunray secoua la tête.
— Je ne cherche pas de partenaire.
Sidious révéla une partie de son visage.
— Ne faites pas semblant d’être satisfait de votre position au sein de la Fédération du Commerce ni de n’avoir aucune aspiration. Nous sommes désormais partenaires pour l’avenir.
Gunray émit un sifflement.
— C’est une blague. Les Sith ont disparu depuis mille ans.
— C’est précisément ce que la République et l’Ordre Jedi voudraient vous faire croire mais nous n’avons jamais disparu. À travers les siècles, nous avons soutenu des causes justes et nous nous sommes révélés à des individus choisis, comme vous.
Gunray prit appui sur le dossier de son fauteuil.
— Je ne comprends pas. Pourquoi moi ?
— Vous et moi sommes tous deux passionnés par la direction que prend la République et j’ai estimé qu’il était temps que nous commencions à travailler de concert.
— Je ne prendrai part à aucun complot.
— Vraiment ? Pensez-vous que, parmi des millions d’individus influents, je vous aurais choisi sans vous connaître sur le bout des doigts ? Je sais que vos désirs voraces sont nés dès votre enfance, précisément à cause des conditions cruelles dans lesquelles on vous a élevé : vous et les autres vermisseaux, vous vous livriez une bataille sans pitié pour la trop rare nourriture. Je comprends cela. Nous sommes tous façonnés par nos désirs d’enfance, nos besoins d’affection et d’attention, nos peurs de mourir. Et, à en juger par le chemin que vous avez parcouru, personne n’était meilleur que vous et c’est encore le cas aujourd’hui. Faut-il vous rappeler vos années au Sénat, par exemple ? Les réunions clandestines dans le bâtiment Claus, le Restaurant Follin dans la Ceinture Rouge, les fonds que vous avez détournés au profit de Pax Teem et Aks Moe, les transactions secrètes avec Damask Holdings, l’assassinat de Vidar Kim...
— Assez ! Assez ! Vous voulez me faire chanter ?
Sidious retarda sa réponse.
— Vous ne m’avez peut-être pas bien entendu quand j’ai parlé de partenariat ?
— Si, je vous ai entendu. Maintenant, dites-moi ce que vous attendez de moi.
— Rien de plus que votre coopération. Je provoquerai de grands changements pour vous et, en échange, vous ferez pareil pour moi.
Gunray eut l’air inquiet.
— Vous affirmez être un Seigneur Noir. Mais comment puis-je en être certain ? Comment puis-je savoir que vous avez le pouvoir de m’aider ?
— Je vous ai trouvé un oiseau rare.
— Cela ne suffit pas à prouver votre nature.
Sidious hocha la tête.
— Je comprends votre scepticisme. Je pourrais, bien sûr, vous faire une démonstration de mes pouvoirs. Mais je n’ai pas envie de vous convaincre de cette façon.
Gunray renifla.
— Je n’ai pas de temps à...
— Est-ce que le pylat est près de vous ?
— Juste derrière moi, admit Gunray.
— Montrez-le-moi.
Gunray élargit le champ des caméras de l’holotable pour inclure l’oiseau dans le champ. Il était perché dans une cage qui n’était guère plus qu’un cercle de métal précieux, couronné d’un générateur de champ de stase.
— Quand je l’ai sorti de son habitat, dans la jungle, je craignais qu’il ne meure, dit Sidious. Pourtant, il semble à l’aise dans son nouvel environnement.
— Il chante du soir au matin, répondit Gunray.
— Et si je vous disais que je peux l’atteindre à travers le temps et l’espace et l’étrangler, là, sur son perchoir.
Gunray n’en revenait pas :
— Ce n’est pas possible. Même un Jedi...
— Vous me défiez, Vice-Roi ?
— Oui, répondit-il brusquement. Non... attendez !
Sidious se déplaça dans son fauteuil.
— Vous tenez à cet oiseau, ce symbole de richesse.
— Tous ceux qui l’ont vu m’envient.
— Est-ce qu’une vraie richesse ne générerait pas encore plus d’envie ?
Gunray devint nerveux.
— Comment puis-je répondre, alors que je sais que vous pourriez m’étrangler si je refusais ce que vous me demandez ?
Sidious laissa échapper un soupir théâtral.
— On ne s’étrangle pas entre partenaires, Vice-Roi. Je préférerais gagner votre confiance. N’êtes-vous pas du même avis ?
— Je pourrais l’être.
— Alors voici mon premier cadeau pour vous : la Fédération du Commerce va être trahie. Par Naboo, par la République, par les membres du Directoire. Vous êtes le seul à posséder les qualités de dirigeant requises pour empêcher la Fédération d’éclater. Mais nous devons d’abord nous assurer que vous soyez promu au Directoire.
— Le Directoire n’admettra jamais un Neimoidien.
— Dites-moi ce qu’il faudrait faire..., commença Sidious avant de s’interrompre. Non. Ne vous inquiétez pas. Laissez-moi vous surprendre en arrangeant votre nomination.
— Vous feriez cela sans rien demander en échange ?
— Pour le moment. Si j’obtiens ainsi votre entière confiance, j’attendrai de vous, en retour, que vous teniez compte de mes suggestions.
— Je le ferai, Dark Sidious.
— Alors nous nous reparlerons bientôt.
Sidious désactiva l’holoprojecteur et resta assis en silence.
— Il existe une planète appelée Dorvalla, elle est située dans le Secteur Videnda, dit-il à Maul au bout d’un long moment. Tu n’en as jamais entendu parler mais c’est une source de minerai de lommite, un composant essentiel pour la fabrication de transparacier. Deux sociétés
— Lommite Limited et Intergalactic Ore – contrôlent actuellement l’exploitation et le transport du minerai. Mais cela fait un moment que la Fédération du Commerce voudrait contrôler Dorvalla.
— Quelle est votre volonté, Maître ? demanda Maul.
— Pour le moment, je veux juste que tu te familiarises avec Dorvalla, car cette planète pourrait être la clé pour mettre Gunray sous notre coupe.